samedi 20 mai 2006

Raisons et Sentiments: adaptation du roman de Jane Austen

Avant tout, voici le synopsis pour les ignorants: au siècle dernier en Angleterre, à la suite du décès de leur père, les soeurs Dashwood et leur mère sont contraintes de réduire drastiquement leur train de vie et de quitter leur propriété pour s’exiler à la campagne. L’aînée, Elinor, renonce à un amour qui semble pourtant partagé, tandis que sa cadette, Marianne, s’amourache du séduisant Willoughby. Si la première cache ses peines de coeur, la seconde vit bruyamment son bonheur. Jusqu’au jour où Willoughby disparaît.

A priori, l’histoire donne tous les ingrédients pour en faire un film mièvre et donc médiocre. Heureusement, il semble qu’Emma Thompson qui signe le scénario si je ne m’abuse, et Ang Lee, connaissent le roman de J. Austen. Honte à celle (oui c’est toi Cap) qui essaie de me culpabiliser dans une position de fille-romantique-gnangnan, car “raisons et sentiments” est un des films qui montre avec le plus de finesse les rapports sociaux au XIXe.

L’erreur serait de résumer cet enchevetrement de mutisme, utopie, hypocrisie, révolte et sentiments en une simple réplique d’un film indou “nous vendons nos filles". Bien sur que “raison et sentiments” se situe à une époque où la jeune fille vierge (faut pas déconner non plus) est vendue avec un pactol à l’heureux futur propriétaire riche et bien portant (ou vieux et on attend qu’il crève). L’amour est une utopie qui n’a pas lieu d’être dans le mariage.
Le problème évidemment, c’est que J. Austen construit toujours à la force du poignet des personnages passionnés (et passionants) revendiquant des libertés auquelles ils n’ont pas droit.

Que j’aime ses personnages, vous ne pouvez pas savoir combien je les aime! Parce que c’est plein de sous entendus, de révolte exacerbée contre la société mais une révolte toujours tue à temps. Ou presque.

Il y a d’abord Mariane, la cadette des 3 soeurs Dashwood, jouée par Kate Winslet. C’est celle qui croit encore que si elle s’en donne les moyens, elle pourra épouser un homme pour lequel elle éprouvera une passion survoltée. Le problème c’est qu’elle se fait rattraper par les moeurs de la société et elle paiera sa franchise, plutot deux fois qu’une…
Mariane la charmante, qui brusque tout le monde, qui crie, qui rit, qui tempete, qui n’en fait qu’à sa tête, tombe un soir d’orage dans les bras du beau ténébreux Willoughby. (soupire…) Elle en tombe éperduement amoureuse, de cette passion à laquelle elle aspirait. Elle lui donnera tout: son coeur, son esprit, sa joie de vivre, son anticonformisme parce qu’elle ne pense pas une seconde qu’il puisse refuser de l’épouser puisque qu’il l’aime aussi: c’est que de la bonne logique!
Mariane a quelque chose de “brut” en elle, on dirait qu’elle n’a pas encore été étouffée dans le carcan des moeurs, elle montre à tout le monde qu’elle est éprise de Willoughby (qui semble lui accorder une pareille attention) en se moquant du qu’en dira-t-on.
Quand on croit fermement en quelqu’un et que l’on ressent un amour aussi fort que celui de Mariane pour John Willoughby, la chute est encore plus rude. Willoughby s’est fait spolié l’héritage par la vieille tante et c’est pas trop son genre de vivre d’amour et d’eau fraiche alors il épouse une pimbêche richissime sans avoir le courage de le dire à Mariane.
Et Mariane, toujours dans sa logique, s’enfonce de jours en jours, se débat face au silence de Willoughby et finit par se prendre le camouflet du siècle, devant tout le monde bien sûr, histoire d’ajouter l’humiliation à la douleur.

Il y a aussi la douce et réservée Elinor, si différente de sa cadette que je me demande si elle a le même père. Elinor aime Edward (Hugh Grant merveilleux en timide maladif) mais évidemment elle n’en dira rien. Elle apprend qu’Ed s’est fiancé à une pétasse? Elle lisse son tablier, se mord la lèvre et continue ses activités comme si de rien n’était.
Elinor pourrait énerver mais elle n’a pas besoin de parler pour que tout le monde comprenne ce qu’elle ressent. Elinor c’est la finesse du film parce que c’est la description du vernis que la société a formé sur tous ces gens.
C’est un personnage extremement fort qui capte toutes les émotions et qui ne les relache que quand elle est à bout. Et là, c’est le choc.
Deux scènes marquantes:
- quand elle supplie Mariane de ne pas mourir: on ne s’y attend pas du tout, on croit qu’elle va, comme d’habitude, assumer tout le poids des peines, de la douleur, des petites méchancetés quotidiennes d’un monde où les apparences priment. Elle reste droite, soignant sa soeur et puis elle s’effondre. Complètement. Toute son angoisse refait surface, elle a bien conscience que sa vie est médiocre: c’est à présent une vieille fille qui a laissé filer son amoureux pour ne pas provoquer de scandale, qui s’occupe d’une famille sans le sou et qui supporte toute la cruauté des autres avec le plus de force possible. Mariane c’est l’élément vivant du groupe: c’est elle qui s’exprime pour les autres et si elle meurt, elle prendra avec elle toute la liberté d’expression et d’opinion qui existe.

- quand Edward vient pour la demander en mariage. Parce qu’elle n’espérait plus rien, qu’elle avait contenu toute sa peine de le voir s’éloigner. Crise indescriptible, faut le voir pour le croire.

Une dernière chose: le regard de Willoughby dans l’avant dernier plan. Qu’il se ronge les sangs toute sa vie d’avoir choisi la vénalité, ça lui apprendra le courage.

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