La grande poste, par opposition aux petites annexes de quartier envahies par les mémés aux heures de pointe, est située dans un immense batiment en pierres brunies par des années de pollution. Les fenêtres sont cachées par d'épais barreaux de fer, comme en prison et la porte à l'origine transparente est recouverte d'une couche de crasse qui lui donne un aspect brouillé parsemé de traces de doigts.
C'est le genre de portes sur lesquelles les gamins aiment écraser leurs junéviles visages en tirant la langue pour bien lécher toutes les bactéries qui s'y trouvent.
Quand on entre dans la grande poste, on ne sait déjà pas où aller : devant, il y a un mur en verre, des deux côtés il y a deux couloirs exigus jonchés de collissimo d'exposition. Bien sûr systématiquement, je prends la sortie pour l'entrée et je me cogne à la pancarte vantant les mérites de la banque postale qui est suspendue à 1,75 mètres du sol.
De là, une marque rouge au front, je fais comme si de rien n'était pour constater qu'environ 25 personnes attendent en file indienne, patiemment, les mains croisées sur leurs bedons, l'oeil rivé à l'horloge en plastique clouée sur un mur couleur vert sale.
Certains soufflent, le sourcil froncé et la mine inquiète. D'autres, résignés, assis sur des chaises d'un bleu électrique qui rappellent les décos de Valérie Damidot, ont le regard vide et les traits avachis. Ils se demandent probablement pourquoi ils ont voté Sarkozy, pourquoi le service public n'a de public et de service que le nom, pourquoi il n'y a qu'un seul guichet ouvert sur dix, pourquoi il n'y a pas de système d'aération, pourquoi le type à côté renifle sans cesse avec un bruit dégoutant qui donne envie de vomir, pourquoi le gamin dans sa poussette n'arrête pas de brailler, pourquoi ils attendent tous depuis trente, quarante-cinq minutes voire une heure, pourquoi la file n'avance pas, qu'est-ce qu'ils font là, qu'est-ce qui sent comme ça. L'urine. Il y a des relans d'urine qui vous soulèvent le coeur à la grande poste, comme dans certains couloirs du métro.
A la grande poste, il n'y a qu'un seul guichet d'ouvert sur dix à 13h30 de l'après-midi, quand les gens sont pressés de reprendre le boulot et qu'ils ont pris sur leur pause déjeuner pour poster un colis à tante Amaranthe.
L'Etat n'a plus d'argent pour payer un deuxième guichetier. Bon, c'est vrai que quand l'Etat a besoin de sous, brusquement, il en trouve, par millions, mais en fait, non, bon peuple, il n'y a pas d'argent, c'est pour ça qu'il faut laisser tomber en ruine les bâtiments publics, fermer les antennes postales pas rentables, supprimer des postes de profs, notamment de profs spécialisés. On s'en fiche des profs, de toute façon, hein, peu importe l'éducation du peuple : moins le peuple apprend à réfléchir, moins on n'a de problèmes pour le gouverner.
Il est où le service public, dis? Il est où ?
Pendant ce temps là, le budget de Nabot explose, faut dire qu'il court Nabot, il brasse de l'air, ça coûte cher. Des résultats? Pourquoi des résultats? Vous voyez bien qu'il fait ce qu'il peut. "Lui, au moins, il fait quelque chose". Oui, il brasse. Il donne un dernier coup de pied dans le dos du service public moribond déjà à terre et repart. Vite ! L'International l'attend, avec sa "belle épouse", dixit Sarah Palin entre deux gloussements.
VD.
mardi 4 novembre 2008
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire